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Analyse économique versus analyse stratégique

Jean-Paul Hébert

25 mai 2006

Les prises de participation américaines dans l’industrie de défense européenne que le Débat stratégique a analysées à plusieurs reprises constituent-elles une menace pour l’autonomie de notre politique de défense ?

S’il faut en croire la présentation faite par le journal Le monde d’une étude commandée par la délégation aux affaires stratégiques, la réponse à la question est négative : « on ne peut conclure à l’existence d’une menace vis-à-vis de nos intérêts de défense » assure un responsable de la DAS. Le sujet de l’étude citée portait sur « la stratégie des fonds d’investissements américains en Europe » et sa conclusion mérite évidemment qu’on s’y arrête. Malheureusement, l’étude en question, si elle a été présentée au journaliste du quotidien vespéral n’est pas disponible sur le site internet de la DAS. Il a même été impossible d’y trouver une référence quelconque. On peut cependant reprendre le résumé de l’argumentation exposé dans l’article cité.

Myopie de l’économicisme

Un des arguments utilisés pour conclure à l’innocuité de ces opérations consiste à souligner que « une logique strictement économique peut suffire à justifier les mouvements /des fonds américains/ vers les activités de défense ». et la démarche même de l’analyse consiste à identifier les critères de décision des fonds d’investissements afin de savoir s’ils sont ou non les instruments de la politique géostratégique des Etats-Unis.

Une telle problématique néglige la dimension proprement stratégique des décisions économiques : les investisseurs n’ont pas une liste d’objectifs qui comprendraient une ligne du type « mettre en œuvre la politique géostratégique de l’Etat fédéral ». C’est évidemment sur la réalité de leurs décisions qu’on peut préciser le contenu stratégique de leur action et non pas sur leurs intentions affichées ou supposées. De même, se servir de la logique économique pour évacuer une logique stratégique est sans doute conforme à la théorie économique standard incapable de prendre en compte une dimension non directement quantifiable, mais c’est bien loin d’être une approche indiscutable. Il n’est pas nécessaire qu’une opération de prise de contrôle d’une firme d’armement européenne soit non-rentable pour qu’elle ait une dimension stratégique. C’est au contraire une des leçons de la période passée que cette capacité des firmes américaines d’inscrire leur tactique économique dans le droit fil des orientations stratégiques nationales.

Il faut de plus souligner que limiter l’analyse à la question des fonds d’investissement, c’est introduire une distinction nuisible pour l’analyse entre ces fonds et les firmes proprement dites, comme si seule la stratégie des fonds d’investissement était soupçonnable. C’est implicitement considérer que ce serait ces structures discrètes, mobiles, peu connues qui seraient les agents d’une espèce de complot alors que les entreprises n’auraient par définition aucun rôle stratégique.

Complot ou stratégie ?

La réalité est tout autre : le problème n’est pas celui d’un complot mais celui d’une stratégie et la question n’est pas de démasquer un protagoniste mal intentionné mais de comprendre les dimensions essentielles de la relation transatlantique en matière d’industrie d’armement et de politique des moyens.

C’est notamment ce qu’a essayé de faire un rapport de la commission de la défense de l’Assemblée nationale. Ce rapport souligne qu’il « est nécessaire de prendre garde aux "théories du complot", parfois relayées inconsidérément par la presse, qui conduisent parfois à voir derrière tout investissement en Europe la main des services secrets américains. » et montre qu’il faut prendre en compte un écheveau de motivations à la fois économiques, financières, technologiques, stratégiques et politiques qui peuvent constituer un « risque réel pour l’industrie européenne »

On comprendra mieux encore le sens du mouvement si l’on veut bien considérer que les firmes européennes elles aussi font des acquisitions aux Etats-Unis. Ces opérations cherchent évidemment à être rentables et elles ont au moins un objectif important qui est de pénétrer le marché américain. Aucun ordre de mission « stratégique » n’a été assigné aux entreprises européennes réalisant ces acquisitions par les pouvoirs publics. Il n’empêche qu’elles ont nécessairement un contenu stratégique. Il en est de même pour les opérations américaines sur les firmes européennes et cela ne relève pas d’une vision de conspiration mais bien de la lucidité stratégique.

Disproportion des projets

Pourquoi alors, dira-t-on, les opérations américaines vers l’Europe serait-elles plus menaçantes que les opérations européennes vers les Etats-Unis ?

Pour deux raisons majeures : d’une part parce la disproportion de taille et de budget entre les systèmes européen et américain de production d’armement est évidemment à l’avantage du second. Et d’autre part parce que les européens n’ont pas comme projet politique d’arriver à aligner les choix des Etats-Unis sur leurs propres choix, alors que l’administration américaine s’accommode mal - c’est le moins qu’on puisse dire - d’une autonomie stratégique européenne.

Il n’est pas besoin d’imaginer un complot pour constater cela, il suffit de lire les documents américains, d’observer leurs décisions, d’écouter leurs déclarations : Richard Perle, un des néoconservateurs les plus connus, ex conseiller du président Bush, déclarait encore à l’occasion des rencontres du cercle des économistes à l’été 2005 « La France a tort de développer l’idée d’un nécessaire contrepoids face aux américains ».

Il est évidemment inopérant de penser que la recherche d’un hypothétique critère de décision économique d’un fonds d’investissement pourrait se substituer à ce travail de discernement stratégique, à moins qu’on ne veuille faire fi de la réalité.


 


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