12 octobre 2006
1. Les Craquements.
Assez vite il bien fallu se rendre à l’évidence que l’entrée de forces israéliennes ne faisaient pas cesser les tir de roquettes et de missiles, que des localités comme ’Bin Jubeil’ et ses satellites n’étaient que de ’petits’ centres de résistance et que la zone en regorgeait et qu’il faudrait les réduire un à un ; mais que l’on n’y arrivait pas. La découverte se doubla rapidement du constat de leur organisation en réseau remplissait ses fonctions de points d’attaques et de môles de défenses, à la fois postes de commandement, de replis et d’attentes. Dès le 27 juillet l’information perçait : la nécessité de changement au sein de la direction du Front nord et le rappel d’un ancien responsable de cette zone, le Major-Génral G.Ashkenazi était annoncé ; Disposant de l’expertise de la guerre de 1973 et d’une longue pratique du Hezbollah, cette nomination allait de pair avec le rappel de certains officiers supérieurs à la retraite.
Sur le terrain, la découverte consistait en ce que les forces du Hezbollah pratiquaient un combat ’acentré et discontinu’ au sein d’un champ quadrillé de tir de missiles, de bonnes communications leur permettant de prendre l’initiative et l’avantage sur des forces israéliennes qui manquaient de cohérence dans l’action. Puis ce fut la découverte que les chars Merkava 4 payaient un lourd tribut dans ces engagements acentrés., pour plusieurs raisons.
Le 2 Août les experts israéliens énonçaient 6 difficultés :
L’inexpérience militaire de la troïka gouvernementale : Premier ministre, défense, affaires étrangère.
Les faiblesses du Haut EM
La nomination par l’ex premier ministre (A. Sharon) d’officier généraux dévoués à ses projets qui étaient de ’technologiser’ l’armée et de rompre avec les riches débats doctrinaux qui étaient traditionnellement son fait)
Les "dérives" nées dans la doctrine d’emploi des forces terrestre suite aux 6 années de ’maintien de l’ordre’
La croyance des planificateurs que les armes sophistiquées aériennes pouvaient tout - A l’instar des erreurs commises par les USA en Irak
La création par le Hezbollah d’une réelle doctrine d’emploi fondée sur une théorisation des événements de Jenin en 2002 : Combat décentralisé, et plan de feux dans une zone ’préparée’.
Le manque ’d’Infanterie’ - ses manques sur le terrain ainsi que les ’tergiversations’ dans son engagement aboutirent à la nécessitée de renforcer les EM avec encore d’autres cadres de réserves. L’arrivée du Major Général M. Kaplinsky - Ex Commandant de la Golani Brigade (Au savoir confirmé dans le combat terrestre) - en étant de cas emblématique.
Une fois décidée, la Manoeuvre au sol "en grand style" fut le théâtre d’apprentissages douloureux, où l’électronique des forces israélienne fut souvent neutralisée et le Litani ne fut atteint qu’au pris de pertes importantes et d’actions non cohérentes, que les soldats allaient dénoncer.
Ces critiques étaient au nombre de « 7 » :
Le commandement ’arrière’ ne savait pas ce qui se passait à l’avant’
Certains des ordres étaient ’suicidaires’, et parfois les cadres et la troupe décidèrent de ne pas les exécuter.
Les forces blindées ne disposaient pas des blindages technique sophistiquées permettant de faire face aux armements anti-chars (dernière génération russes) de l’adversaire.
La doctrine d’emploi des forces terrestre n’était pas adaptée.
L’entrée au Liban s’est faite sans aucune information sur le système de combat adverse ainsi que sur son organisation.
Les cadres méprisaient par trop les combattants adverses qui étaient de véritables soldats, entraînés et combatifs.
La logistique ne suivait pas « Pas d’alimentation, Pas d’eau »
Ces critiques furent reprises par une centaine d’ex officiers supérieurs et généraux dont la forme principale fût : « Pour la première fois de son histoire Israël a fait une guerre où les commandants de brigades et de division commandaient depuis des PC arrière , au lieu de les diriger de l’avant »
2. Comment fut prise la décision : La précipitation et le mépris.
« Jamais dans l’histoire de notre pays on n’a été aussi proche de ce que l’on pourrait appeler métaphoriquement un putsch militaire, jamais un gouvernement israélien n’aura pris une décision aussi importante aussi rapidement que le 12/07/06 Š Le seul plan était celui des militaires » [1]. « Lors d’un briefing Š le chef de l’armée de l’Air se prit soudain à qualifier Hassan Nasrallah de « Chef de bande » avec une insistance puérile Š montrant des vidéos de bombardementsŠ avec l’orgueil d’un vainqueur comme si la Hezbollah était un état doté d’infrastructures » [2] . D’où la définition de deux des racines du mal de cette ’étrange expédition militaire’
La précipitation provient de la conjonction entre : 1. la charge affective que voue la nation israélienne à son armée, tant de fois victorieuse, n’est autre qu’une vision d’elle-même, et chaque génération doit ’entrer en politique’ par un combat vainqueur qui perennise cette représentation.Š2. la nécessité pour l’EM de ne pas laisser une faille se créer dans le dispositif d’incorporation ; l’adhésion et l’adéquation de la jeunesse du contingent est fondée sur le fait que l’armée et l’Etat feront tout pour sauver même un seul des jeunes soldats prisonniers.
Le mépris, ’cancer’ de toutes institutions militaires d’occupation qui tendent à ravaler l’adversaire dans un rôle d’idiot pleutre, et à penser qu’il suffira de le secouer pour en venir à bout.
3. Pourquoi ceci a pu se passer ?
L’armée israélienne, ces dernières années, a changée de Doctrine. Elle est passée de "Voir les yeux de son adversaire et le battre" à "lui faire si mal, qu’il abandonne toute velléité d’affrontement". L’origine de ces transformations est bien entendu la succession d’intifadas qui des "Pierres" est passée à la "Ceinture d’Explosifs" pour arriver aux « Roquettes & Missiles ». La réponse à cette transformation a été de "technologifier" l’institution qui implique de gagner et de perdre sur deux terrains :
a. Faire de l’armée un outil de professionnels, très liés aux USA et qui dès lors représente sans doute la pérennisation de l’alliance sécurisante de l’Etat d’Israël, mais implique une contagion au niveau des think tanks et la distorsion de la « base de donnée » sous tendant la gestion politique des combats.
b. Technologifier l’armée c’est la rendre moins « captive » de la société civile qui en Israël, à l’instar de celle de tous les pays développés, est en pleine évolution. Ainsi il est notable que pour Israêl l’ère de l’armée « Communautaire et Inventive » composée de « sabras-kibboutzim » est close. Aujourdhui en résumé cohabitent, ’Technologues’ et ’Religieux’.
On a vu le luxe de ’travail’ idéologique que l’EM dût entreprendre auprès du contingent et des réservistes pour faire déménager les colons de Gaza par l’armée. Cette man¦uvre fut réussie car l’armée ne se fractura pas. Mais ni le savoir faire de ’maintien de l’ordre’ auprès des colons ni celui du quadrillage répressif des Palestiniens, ne prépare à l’affrontement à des soldats entraînés, disposant d’un armement en cohérence avec celui de leur adversaire.
4 . Que nous apprend « l’Etrange Expédition Militaire ».
Plus on ’technologifie une armée’ et ses propres armes (A grands intérêt des industries d’armement) plus localement elle casse économiquement l’adversaire, s’en prenant maintenant à l’ensemble des infrastructures, à mesure des imbrications des espaces civils et militaires) moins le politique y trouve ses droits de contrôle des finalités politiques
Les dernières expériences, irakiennes comme israélo-arabes, sont là pour nous le montrer. Pour que réapparaisse le politique, la négociation, la solution, il faut que des hommes s’engagent, bref qu’une ’infanterie’ advienne et se situe en opération au niveau des finalités territoriales qui sont aussi des définitions politiques et sociale.
L’alliance technologico-économique des secteurs industriels entre les USA et Israël aura en l’occurrence été mise à mal car on a pu constater l’impossibilité de brouillage des communications du Hezbollah. En revanche l’entrée réussie de ces derniers dans le réseau israélien, et le tir au but sur le navire israélien.
En ayant recours au ’tout technologique’ la doctrine globale de l’armée israélienne devient ’dépendante’ de celle de son mentor américain et s’identifie à lui. On a expliqué certains atermoiements dans les « Ordres d’Opérations » comme dans la « Logistique » sur le champ de bataille, ces dernières semaines, par la volonté de ’pilotage fin’ des politiques, au niveau du combat de soldat (ce qui fut une des manies de M. Rumsfeld critiquée par les militaires US en Iraq) ; ce que les soldats israéliens stigmatisent par l’expression : « Commandement de l’arrière, sans but, avec des missions suicidaires ».
Ces technifications ont révélé des fractures et des incohérences insoupçonnées, qui rendent peu probable à court terme une nouvelle intervention militaire dans la zone.
[1] Yagel Levy, (’Ha Aretz’) cité par Courrier International 206, p. 28
[2] Doron Rosenblum, ibid.